Le retour de la nature en ville est attendu, souhaité.
Il se décline sous de multiples formes, plus ou moins cosmétiques.
Mais le retour de la nature signifie qu’elle serait partie ?

On se plait à répéter la citation de Jean-Louis-Auguste Commerson (que l’on attribue à tort à Alphonse Allais) : « Il faudrait construire les villes à la campagne, l’air y est plus sain ». Certes.

Ce serait tellement pratique ! Et puis les quartiers deviennent des villages où l’ambiance monte comme les prix de l’immobilier.
Ses habitants se mettent à rêver d’une nature de proximité accessible et sympa, de jardins partagés, de repas bio dans les cantines scolaires… Les édiles promettent de réduire la circulation automobile, de créer des forêts urbaines et de développer l’agriculture urbaine.

Au fourretout du terme nature, il est de bon ton de compléter en évoquant l’anthropocène, voire la capitalocène pour les plus hardis, afin d’espérer de rendre vivable cette ville autrefois adorée et qui se révèle dense et polluée.
Mais que s’est-il passé ? Comment est-on passé de la métropole, présentée comme l’avenir de l’humanité urbanisée à la ville de tous les dangers sanitaires ?

La nature envahie, déborde, occupe l’espace comme le montrent les photos d’Arnauld Duboys Fresney sur des espaces de notre quotidien urbain.

Prises en avril 2020, elles témoignent des 55 jours de confinement auxquels les Français ont été contraints suite à la pandémie de COVID-19.
Elles nous montrent des rues désertes sous un soleil printanier provocateur. Le confinement fait ressembler Paris figé dans un long mois d’août.
Chacune des photos peut-être comprise dans le contexte du confinement, mais elle peut-être lue comme le point de départ d’une transformation plus profonde de notre environnement urbain.

Boulevard Pereire, Paris 17è. ©ADF

Sur la partie nord du boulevard Pereire, dans le 17e arrondissement, entre la rue Georges Picquant et la rue de Saussure, les aménagements récents qui accompagnent les nouvelles constructions des rives du faisceau ferroviaire de la gare Saint-Lazare, composent un nouveau paysage. 

Les végétaux débordent des limites que les humains lui ont assignées. Dans cet apparent fouillis, les merles installent leurs nids, la biodiversité reprend ses droits dans un silence apaisant. Ce paysage idyllique ne doit pas occulter la place importante laissée aux sols imperméables dédiés principalement à la circulation automobile et à son stationnement.

Comment le mouvement engagé par la plantation des rives des coupes constructions peut-il être poursuivi ? L’asphalte parisien ne devrait-il pas laisser place à des matériaux perméables, qui ne soient pas des dérivés du pétrole ? La place occupée par l’automobile ne pourrait-elle pas être optimisée ? Ces hypothèses déjà testées ne devraient-elles pas être généralisées, comme un mouvement partant de ce bosquet jusqu’au pied des immeubles ?

Boulevard de Reims, Paris 17è. ©ADF

Le long du boulevard de Reims, entre la rue Raymond Pitet et la rue de Courcelles, en remontant vers la porte d’Asnières, apparaît une ligne de désir au milieu d’une pelouse.

Lentement dessinée par les passages successifs des piétons, elle indique un passage fréquent, le plus court et le plus rapide entre les lieux. Dans des aménagements qui cloisonnent les types de circulation, la ligne de désir représente un espace de liberté. Elle est un indicateur intéressant des pratiques avant que des transformations plus lourdes adviennent. L’évidence de ce tracé, à l’ombre des platanes, le long de la trémie qui plonge sous terre afin d’éviter la porte de Courcelles. Elle est aussi le signe d’un aménagement plus frugal, qu’il faudra conforter pour le rendre accessible à toutes et tous. Mais cette ligne de désir est surtout un indicateur de nouvelles méthodes d’aménagement qui empruntent à ce qui est appelé l’urbanisme transitoire et qui souvent influence peu, voire pas du tout, l’aménagement durable qui le suit. Considérons cette ligne de désir comme une piste à poursuivre afin de rendre la ville plus accueillante et attentive aux pratiques de ses habitants.

Square Auguste Baligny, Paris 17è. ©ADF

Le square Auguste Baligny, porte de Champerret est situé entre la rue Jean Oestreicher et le boulevard de la Somme, au cœur de la circulation. 

Bien qu’installé sur la dalle qui recouvre en cet endroit le périphérique, le square constitue un îlot de fraîcheur. L’agave et les géraniums à l’ombre du frêne témoignent de tentatives de jardiner cet espace qui résistent encore à l’envahissement prairial. Mais pour combien de temps ?
Sans entretien ces plantations disparaitront-elles comme probablement les œuvres en terre cuite de Denis Mondineu, 1er grand prix de Rome en 1966 ? Le square témoigne de l’état du difficile dialogue entre Paris et sa proche banlieue que la construction du périphérique en 1973 n’a pas amélioré : un espace difficilement accessible, perdu dans un no man’s land routier, des équipements obsolètes que les consultations en vogue tentent de réanimer. L’ancienne discothèque la Main jaune devrait être transformée prochainement en un lieu d’enseignement de la musique ?

Ne faudrait-il pas considérer le square, débarrassé de ses ornements, comme une contribution à la refondation de la ceinture verte qui avait été imaginée dès le XIXe siècle autour de Paris ?

Porte de la Villette, Paris 19è. ©ADF

En rejoignant le nord de la porte de la Villette, à la lisère entre Paris et Aubervilliers, on découvre un de ces nombreux fonciers invisibles que les infrastructures routières ont créés.
Quelques platanes, une pelouse rase. Quel est le devenir de cet îlot ? Sera-t-il promis à une future construction venant chercher encore une fois à « relier » Paris et sa banlieue ? Ou ne faudrait-il pas le considérer comme un terrain en pleine terre à préserver ?

Peu fréquenté, cette parcelle ne pourrait-il pas accueillir une forêt urbaine ont la municipalité parisienne a fait la promesse ? L’introduction de strates basses et intermédiaires viendrait compléter la strate haute composée de platanes.

Le terrain d’un peu moins de 5000 m2 est un espace public au sens de son appartenance à la collectivité, mais il n’est pas nécessairement affectable à des usages comme peuvent l’être les parcs et jardins. Il peut devenir un lieu inaccessible en son cœur, consacré comme une réserve de biodiversité. Un lieu préservé qui échapperait à la densification programmée, devenant un bien commun, possédant une valeur environnementale non marchande.

Rue de Rivoli, Paris 1er. ©ADF

Rue de Rivoli déserte. Plus de touristes, boutiques et jardins des Tuileries fermés. Les invisibles de la ville ressortent. Ceux qui se cachent sortent au grand jour malgré l’interdiction. La nécessité est plus forte que la raison. 
Comment accueillir les populations fragiles et exposées à tous les risques ?

Ironie du choix d’un lieu vitrine la ville marchande pour venir y installer sa tente alors que de nombreux endroits moins exposés et plus agréables existe. 

Cette situation est intolérable, mais elle montre que ville abandonnée devient un possible, qu’elle recèle d’espaces qui pourraient être consacrés dignement aux plus pauvres. L’espace public est l’espace de tous, il permet d’accueillir plutôt que de rejeter, d’accompagner plutôt que de cacher.

Rue Sadi Carnot, Aubervilliers. ©ADF

Rue Sadi Carnot à Aubervilliers, un chantier arrêté net. Il va reprendre dans quelques jours, puisque le confinement vient d’être levé. Au fond, une barre de logement bénéficie d’un dégagement qui sera comblé après le confinement. L’urbanisation continue : densifier, remplacer, combler les vides.

Indifférent, un troupeau de mouton conduit par son berger poursuit son pâturage itinérant dans les rues écrasées de soleil. Chaque soir, Guillaume Leterrier mène son troupeau au parc Georges Valbon de La Courneuve. L’initiative a été prise par le département de Seine–Saint-Denis afin d’investir le territoire et développer « un troupeau pour l’élevage ».
La rencontre inopinée entre les mondes ruraux et urbains produit une image forte invitant à repenser le rapport entre l’un et l’autre, sans les opposer, dans une recherche d’alliance et de complémentarité. 

Dans ce pâturage urbain se joue un changement d’échelle qui nous fait passer de celle de la ville à celle de la métropole qui ne serait pas considérée comme une grande ville, mais comme un territoire d’interaction et de solidarité.

Petite ceinture, Paris 16è. ©ADF

Le 16e arrondissement de Paris n’est pas connu pour son « ensauvagement ».
Pourtant, comme tous les arrondissements de la couronne parisienne, il est parcouru par la petite ceinture. Cette ligne de chemin de fer ouverte entre 1852 et 1869, a conduit son heure de gloire lors de la l’exposition universelle de 1900. Transportant marchandises et voyageurs autour de Paris, elle connut un lent déclin qui entraîna sa fermeture en 1934. Quelques tronçons restent ouverts, le trafic de marchandises disparaît définitivement au début des années 90. De nombreuses hypothèses ont été émises quant à son avenir, sans qu’aucune n’aboutisse réellement.

Longtemps laissée en friche, certains tronçons de la petite ceinture sont ouverts au public. Ici, le long du boulevard de Montmorency, l’aménagement est discret, les érables planes ploient sous leur poids et forment une voûte ombragée. Un tapis végétal envahit l’emprise naguère occupée par les rails. C’est un espace neutre de la ville, où les bruits sont étouffés grâce au couvert végétal. C’est un ailleurs intérieur, sans aménagement, un bloc de pierre suffit à servir d’assise et à la transformer en open space de plein air.

Ce que nous montre cette série de photographies d’Arnauld Duboys Fresney est l’expression de différentes formes de nature dans une ville, Paris et la première couronne, saisie par la pandémie.
Durant ces 55 jours, l’humain n’a plus été le centre. Il est devenu un occupant qui se serait momentanément absenté, laissant place à d’autres formes de vie, visibles ou suggérées.

C’est à partir de ces signaux que la « nature » (adoptons ce terme par commodité) peut reprendre une place essentielle, à partir de laquelle peuvent se transformer les métropoles.
La ville dense est un ensemble dont la fermeture même temporaire de ses parcs et jardins montre la fragilité et la rend détestable. La ville se pense comme un ensemble du plus privé au plus public. Il faut accepter, et surtout s’inspirer de ces nombreuses natures de ville pour imaginer notre avenir.

Arnauld Duboys Fresney est photographe et graphiste. Il collabore avec des architectes, des urbanistes et des paysagistes. Il a réalisé plusieurs expositions dont la première biennale du paysage : « Le goût du paysage » au Potager du Roi à Versailles en 2019. Toujours à la recherche de sujets qui ont du sens et proche de la nature, la photographie est pour lui un révélateur, observer pour mieux comprendre et accompagner ceux qui ouvrent des pistes vers un changement durable.


Patrick Henry est architecte et urbaniste. Il est professeur de théorie et pratiques de la conception architecturale et urbaine à l’école nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville. Il y dirige le diplôme de spécialisation en urbanisme (
DSA architecture des territoires). En 2016, il crée sa structure, pratiques urbaines. Il travaille pour des maîtrises d’ouvrages publiques ou privées et des équipes de maîtrises d’œuvre avec lesquelles il élabore des stratégies et des montages opérationnels de l’échelle du territoire à celle de la parcelle. Il publie régulièrement ouvrages et articles dont Agir pour et avec les sols urbains (Médiapart, 22 mai 2020).

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